La semaine prochaine aura lieu, comme tous les trois ans, l’assemblée générale de l’Archevêché. La vie cet organisme a connu, depuis sa dernière assemblée générale, une évolution qui apparaît comme inquiétante à bien des égards pour beaucoup d’orthodoxes vivant en France. De fait, le destin de ce corps ecclésial ne peut laisser indifférents les orthodoxes de ce pays.
En effet, son fondateur, le Métropolite Euloge, avait su lui insuffler un certain nombre de principes et de traditions qui en faisait un élément de stabilité et d’équilibre dans le monde de l’orthodoxie en Europe. Ce hiérarque avait un attachement particulier pour la liberté de l’Église et dans l’Église. Il a su apprécier l’indépendance, vis à vis du pouvoir politique, qu’offrait la France à toutes les organisations religieuses, situées sur son sol. Mais, plus encore, il avait fait prévaloir une liberté fondamentale au sein de son diocèse. Toutes formes d’opinions ou d’actions y avaient droit de cité. Si le Métropolite savait parfaitement discerner les faiblesses de chaque initiative, il savait également apprécier ses aspects positifs et ses mérites. Son esprit de liberté, sans laquelle il ne concevait pas la vie de l’Église, allait jusqu’à laisser librement s’éloigner de son diocèse, certes avec regret, mais sans aucune mesure coercitive, les paroisses qui, pour une raison ou une autre, choisissaient de le faire. Il avait conscience, en effet, de ce que la situation en diaspora était un phénomène nouveau et que le consensus de l’Église n’avait pas encore donné une solution définitive aux problèmes qu’elle soulevait dans le monde orthodoxe. Cette liberté fondamentale qui régnait dans le diocèse a toujours été, dans le passé, une caractéristique majeure et exceptionnelle de cet Archevêché.
Monseigneur Euloge avait aussi appris à ses ouailles le respect des saints canons de l’Église dans leur forme et surtout dans leur esprit. Jusqu’à une période récente, jamais ce diocèse n’avait agit d’une manière qui pouvait être considérée comme contraire à l’esprit de la conciliarité de l’Église et des canons qui en découlent. Ainsi, tout en étant très attaché à l’Église mère, Mgr Euloge considérait que « les Églises orthodoxes séparées de leur Église mère, devaient se rattacher dans un pays orthodoxe à la juridiction de l’Église locale et, dans les autres pays, au patriarche œcuménique. » -et, trop souvent, l’on oublie maintenant qu’il ne préconisait cette solution canonique que pour les Églises coupées de leur Église mère. Quoiqu’il en soit, cette tradition de respect absolu des canons a toujours été celle de cet archevêché, jusqu’à un passé très récent, et cela lui donnait en plus d’une aura particulière, le droit moral d’exiger ce même respect de tous ses interlocuteurs.
Enfin, cet évêque hors pair, considérait que cela n’était peut-être pas totalement par hasard que tant d’orthodoxes, et parmi eux tant de théologiens de haut niveau, se soient retrouvés en terre occidentale. Il estimait que son devoir était de témoigner de l’orthodoxie là où il se trouvait et d’entretenir de fraternels contacts avec les chrétiens non orthodoxes.
Cet héritage précieux permit, par la suite, à l’archevêché de jouer le rôle d’un pont entre les patriarcats de Constantinople et de Moscou. Il avait toujours pris soin de conserver une attitude aimante et respectueuse envers son Église mère, et ce, au-delà des interventions, de l’Etat athée, qui manifestement tentait d’utiliser cette Église à ses propres fins tout en la persécutant durement. Cet héritage lui permit aussi d’accueillir en son sein, à l’instar des autres juridictions orthodoxes présentes en Europe, son lot de chrétiens provenant d’autres confessions ou venant de l’athéisme.
Mais ces traditions bien établies, qui avaient généré un profond attachement à cet archevêché de nombreux orthodoxes de nos pays, semblent maintenant sérieusement malmenées. Après son élection, et sans que rien avant ladite élection ne l’ait laissé prévoir, Mgr Gabriel (de Vylder) rompit brutalement l’équilibre, que l’on pouvait qualifier de conciliaire, conservé par ses prédécesseurs entre les différentes tendances et opinions qui se manifestaient au sein du diocèse. Certaines positions furent regardées comme subversives, et ceux qui les professaient furent, du jour au lendemain, chassés de leurs fonctions antérieures. Et tout se passe comme s’ils étaient dorénavant considérés comme traîtres en raison de leurs opinions. Aucune discussion des problèmes de l’archevêché, qui pourtant avait été promise, n’est plus souhaitée ni permise. Par une stratégie semblable à celle que peut développer un parti pour prendre le pouvoir dans une démocratie, mais qui n’a rien d’ecclésial, toutes les instances du diocèse ont été « conquises » Et ceux dont l’opinion diverge sont priés de s’incliner devant les décisions de l’évêque sans même pouvoir exprimer leurs réserves. Et certains membres, souvent parmi les plus anciens et les plus expérimentés de l’Archevêché, sont amenés à le quitter, ce qui était inimaginable il y a peu.
Par ailleurs, les relations confiantes et amicales qui étaient entretenues, tant avec l’Église russe qu’avec le patriarcat de Constantinople, se sont transformées en une hostilité déclarée contre le patriarcat de Moscou et une allégeance à Constantinople faisant même fi de la position d’autonomie dont l’archevêché bénéficiait jusque là. Ceci est apparu très crûment lorsque, le patriarcat de Constantinople a décidé d’ « intégrer son exc. l’évêque Basile » dans son Exarchat, selon les termes du communiqué de l’Archevêché. Rappelons qu’à ce moment l’évêque Basile ne bénéficiait d’aucun congé de son Église d’origine, l’Église russe. Il fut admis au sein de l’exarchat sans élection, sans même discussion au cours d’une assemblée. Manifestement les statuts issus du concile de Moscou de 1917/18, ne furent pas respectés.
Tout cela serait sans gravité réelle si ces prises de position n’avaient eu des conséquences dramatiques sur le troupeau du diocèse et plus encore sur la construction de l’Église en Europe occidentale. Cette dernière est devenue un champ de bataille de l’orthodoxie où certains espèrent encore remporter quelque victoire sur telle ou telle Église mère et imposer leurs conditions, comme après une victoire militaire.
Le seul résultat de ces entêtements est l’éloignement des perspectives de solution de nos problèmes ecclésiaux. Il faudra en effet du temps pour apaiser les esprits guérir les blessures apparues ici et là, sortir d’une logique de guerre humaine pour revenir à l’essence de ce qu’est l’Église du Christ fondée sur l’amour trinitaire. En ce temps de joie pascale, nous prions pour que l’Archevêché retrouve le chemin de ses traditions et de ses racines et que la fraternité règne à nouveau parmi ses membres.
Séraphin Rehbinder
Président de l’OLTR