Le problème des relations entre l'Eglise et l'Etat est un problème toujours d'actualité, que chaque génération doit affronter et résoudre dans les conditions de son temps.
Dans la France actuelle, ce problème est marqué, pour nous, par deux facteurs. D'une part, depuis la révolution de 1789, il existe une sourde opposition entre l'Eglise et l'Etat et l'on en voit actuellement des manifestations multiples (interdictions de crèches de Noël, répression anormalement sévère contre les opposants au mariage homosexuel, attaques contre des prélats sur fond de pédophilie de quelques prêtres, par ailleurs inadmissible, etc.). D'autre part, il faut bien voir que les orthodoxes ne sont pas assez nombreux pour que se pose quelque problème que ce soit dans leur relation avec l'Etat.
Il résulte de ces deux facteurs qu'en général, les orthodoxes vivant en France considèrent qu'il ne doit y avoir aucune interférence entre l'Eglise et L'Etat et que, si l'on s'en tient à ce principe, il n'y a plus de problème. Ils ont tendance à en faire un principe intangible.
Mais il ne faut pas oublier que, pendant des siècles, l'empire chrétien, et plus tard l'état chrétien, était le modèle d'organisation politique considéré comme idéal. C'était l'idéal de la « symphonie » entre le pouvoir temporel et le pouvoir religieux. Et ce modèle n'a jamais été condamné par les orthodoxes. Il subsiste même dans un pays comme la Grèce.
Bien sûr, ce modèle devient plus difficile à maintenir quand la proportion des croyants diminue ou que la population d'un territoire devient moins homogène. Mais dans la plupart des pays de tradition chrétienne, il laisse la place à un système où l'Etat reconnait plusieurs religions et collabore plus ou moins avec ces religions « officielles ». C'est le cas, par exemple, en Suisse aux Etats Unis, en Belgique, etc. En réalité, les situations sont très diverses et peuvent poser des problèmes divers.
L'Etat finlandais, par exemple, posa comme condition à la reconnaissance officielle de l'Eglise orthodoxe dans son pays que celle-ci fête Pâques selon le calendrier grégorien, à la même date que les Eglises occidentales. Pour bénéficier des avantages du statut d'Eglise reconnue celle-ci accepta cette exigence. Faut-il y voir un geste prophétique reconnaissant le comput grégorien comme répondant aux exigences canoniques du premier concile œcuménique ou bien une transgression inadmissible du canon qui enjoint à tous les orthodoxes de fêter Pâques le même jour ?
Mais si les problèmes actuels ne semblent pas dramatiques, il en fut autrement au 20ème siècle qui fut un siècle de persécutions intenses. Ces persécutions, nous les devons au « marxisme- léninisme » et autre « maoïsme » qui ont tellement fasciné jusqu'à nos intellectuels français. La Russie fut en première ligne de ces tristes expériences. L'Eglise russe avait déjà connu deux siècles d'asservissement à un Etat qui n'était pas cependant furieusement hostile. Malgré cette dépendance, elle connut un certain renouveau lors de cette période, notamment sur le plan théologique et spirituel. Dès la fin du régime impérial, elle put tenir un concile dont le principal mérite fut de rétablir le patriarcat. Ces évolutions lui permirent d'affronter les terribles persécutions des bolcheviques.
Ces derniers proclamèrent, dès leur prise de pouvoir, la séparation de l'Eglise et l'Etat. Mais en réalité, c'était pour mieux s'immiscer dans les affaires de l'Eglise dans le seul but de la détruire. Le Seigneur n'a pas permis à cette entreprise d'aller jusqu'au bout. L'Eglise fut affaiblie, mais l'Etat s'effondra.
Après ces amères expériences, le patriarcat de Moscou n'avait aucune envie de se remettre sous la coupe de l'Etat. Sa séparation d'avec ce dernier a été réaffirmée par le concile tenu en en l'an 2000. Cette position n'est pas contestée non plus par l'Etat. Mais l 'Eglise ne s'interdit pas de collaborer avec le pouvoir temporel lorsqu'elle estime que ses objectifs coïncident avec les siens. Car si l'Eglise n'est pas du monde, elle est dans le monde et elle exerce forcément son influence sur la société. Ceci est d'autant plus vrai quand la société elle-même, après s'être égarée dans l'athéisme et avoir perdu ses repères moraux, appelle l'Eglise au secours, comme cela se constate souvent en Russie.
Bien sûr, vu d'Europe, surtout à un moment où certaines forces œuvrent au creusement d'un fossé entre la Russie et le reste du continent européen, on croit pouvoir parler de « l'Eglise de Poutine ».
Mais pour nous l'Eglise restera toujours l'Eglise du Christ.
Séraphin REHBINDER
Président de l'OLTR.
20 avril 2016