Editorial de Février 2015 - La préservation de nos églises

La préservation de nos églises - le cas de l’église russe de Biarritz

Les malheurs de l’église de Biarritz illustrent bien l’inconvénient qu’il y a d’avoir deux diocèses s’affirmant comme « russes », en France ; l’un reconnaissant comme son primat le Patriarche de Moscou, et l’autre, celui de Constantinople. Et nous n’évoquerons, ici, que les aspects pratiques, sans nous attarder sur l’anomalie canonique de cette situation.

 

Edito Fev2015 - B1L’église russe de Biarritz a été construite, à la fin du 19ième siècle, par des Russes fortunés qui séjournaient dans cette ville. Elle le fut avec l’aide de l’état russe, au nom duquel avait été acheté le terrain. Mais, en raison de l’ambiance anticléricale de l’époque, en France, elle fut édifiée comme une chapelle d’appartement, ce qui explique la présence d’un logement, au rez-de-chaussée.

 

Comme la plupart des églises construites, à cette époque, à l’étranger, elle fut consacrée à Saint Alexandre de la Néva et dépendait du Métropolite de Saint Pétersbourg (pour des raisons inconnues - il semble que ce soit à la demande d’un donateur important – elle fut aussi consacrée à la fête de la protection de la Mère de Dieu.) A l’époque, l’église de Biarritz était desservie par le même clergé que celle de Pau, elle aussi consacrée à Saint Alexandre de la Neva. Les offices étaient célébrés, à Pau en hiver, et à Biarritz en été.

 

Après la révolution, l’Eglise russe, en proie à de terribles persécutions, ne pouvait plus exercer ses responsabilités pastorales envers ses ouailles qui se sont retrouvées à l’étranger et l’état soviétique se désintéressa de ces édifices religieux.

 

Alors, commença pour cette belle église une période de plus en plus difficile. Les revenus de l’Eglise s’amenuisèrent, progressivement. Au début des années trente, après la mort du prince d’Oldenbourg qui s’était retiré à Biarritz, après la révolution, et qui avait conservé  une part de sa grande fortune, la situation devint encore plus difficile. Si la paroisse s’animait un peu durant la belle saison, elle ne regroupait plus que de rares paroissiens désargentés, résidents permanents dans cette région. Il devint impossible d’entretenir dignement ce temple qui, au fil des années, commença à se dégrader, malgré des efforts méritoires des prêtres qui le desservaient. (C’est durant ces années que, sous l’influence d’un des recteurs de l’époque, fut prise l’habitude arbitraire de l’appeler « Eglise de la protection de la mère de Dieu » au lieu de l’église Saint Alexandre de la Néva. Le rang local de l’iconostase montre bien que cette habitude est erronée.)

 

Après la chute du pouvoir soviétique, la paroisse de Biarritz connut une péripétie liée à la possibilité du retour des paroisses au patriarcat de Moscou. Jusqu’à présent, il existe deux interprétations tout à fait opposées de cette péripétie.

 

On peut résumer les faits ainsi : sous l’influence de personnes favorables au Patriarcat de Moscou, l’assemblée générale de la paroisse vota le rattachement à ce dernier. Des membres de la paroisse hostiles à cette démarche attaquèrent cette décision en justice et obtinrent son annulation. Le Patriarcat de Moscou, qui avait commencé des travaux de réhabilitation importants, les stoppa et remit l’église à celui de Constantinople.

 

Pour les uns qui s’y sont opposés, le passage à Moscou était une manœuvre grossière, menée contre la volonté des paroissiens ; ce qu’ils firent admettre par la justice civile en s’appuyant seulement sur des irrégularités dans la procédure de décision. Pour les autres, le plus grand nombre qui souhaitait ce rattachement, les paroissiens déterminés à s’y opposer ont mené, avec l’aide du diocèse, un puissant travail de lobbying auprès des autorités locales civiles et religieuses afin d’obtenir ce jugement en leur faveur, grâce à des imperfections dans les procédures de votes.

 

Les deux partis n’arrivèrent jamais à se réconcilier et ce conflit a des répercussions jusqu’à présent. Pour beaucoup de locaux, l’église de Biarritz est devenue « l’église où l’on ne va pas ».

 

Par ailleurs, la paroisse reste toujours aussi pauvre alors que l’état du bâtiment devient alarmant et nécessiterait des travaux lourds dont le prix dépasseEdito Fev2015 - B2 largement les possibilités de la paroisse et même du diocèse. Des chutes de morceaux de plâtre sont constatées et certains paroissiens ont des craintes quant à la sécurité des lieux.

 

Certes, l’on pourrait faire appel à de riches mécènes. Mais les Grecs fortunés ne voient pas la nécessité d’aider une église russe, alors que les riches Russes ne comprennent pas pourquoi ils devraient dépenser de l’argent pour une église de Constantinople.

 

Alors, on parle même de raser le bâtiment actuel pour construire quelque chose de plus modeste, ce qui coûterait moins cher que de rénover le bâtiment d’origine. Mais cette église est devenue un monument de Biarritz et il est douteux que cette solution soit acceptable pour les autorités locales.

Alors que faire ?

 

Il serait dommage que cette belle église disparaisse, parce que les orthodoxes d’origine russe sont divisés et que l’archevêché des églises russes en Europe occidentale n’a pas les moyens de l’entretenir et n’a d’ailleurs pas besoin d’un bâtiment si imposant. Peut-être pourrait-il demander au diocèse de Chersonèse du Patriarcat de Moscou de reprendre cet édifice et de l’entretenir au nom de l’histoire ? Et peut-être ce diocèse accepterait-il de récupérer cette église et trouver les fonds nécessaires pour la rénover ?

 

Il faut bien essayer de dépasser les situations de conflits qui résultent de l’existence de deux diocèses russes en France et de pallier les inconvénients graves qui en découlent. Et il ne faut pas oublier que nous ne sommes pas propriétaires de nos églises mais seulement leurs dépositaires et que nous devons nous efforcer de les transmettre en bon état aux générations futures.

 

Séraphin Rehbinder

Février 2015

Nota bene. Les deux photos sont issus d'une collection privée. Tous les droits de reproduction appartiennent à l'OLTR.

 

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