Recueil d'impressions
Le congrès de l'ACER-MJO consacré au Concile de Moscou de 1917-18
Préambule.
L'OLTR a décidé de mettre en ligne le texte "Recueil d'impressions" rédigé par Gueorguy après le congrès de l'ACER-MJO qui s'est tenu du 3 au 5 octobre 2008. Le thème de ce congrès était "Le concile de Moscou de 1917-18". L'OLTR comprend bien que ce texte n'est pas tout à fait récent mais il n'était plus disponible "en ligne" (le site sur lequel il était publié ne fonctionne plus). Le sujet est tout à fait d'actualité et l'OLTR estime très intéressant de proposer ce texte rédigé par l'un de ses membres.
Recueil d'impressions
Le congrès de l'ACER-MJO consacré au Concile de Moscou de 1917-18
Il m'a paru intéressant de proposer ce témoignage du congrès de l'ACER-MJO consacré au Concile de Moscou de 1917-18. Il s'agit, bien entendu, de mes impressions et de quelques-unes des opinions que j'ai pu avoir des conférences et des débats et dont je fais part sous ma seule responsabilité. En aucun cas, il ne s'agit de quelques minutes officielles de ce congrès. Ces dernières devraient être publiées ultérieurement mais on imagine le travail fastidieux que représentent leur recueil et leur traitement.
Le congrès s'est déroulé du 3 au 5 octobre 2008, à une cinquantaine de kilomètres au nord de Paris, sur un site très agréable appartenant à une institution catholique.
Le congrès était co-présidé par le père Christophe d'Aloisio et Cyrille Sollogoub, lui-même président de l'ACER-MJO.
On remarquera la présence, tout au long des travaux, de son Eminence Monseigneur Gabriel de Comane. On comptera, en moyenne, une quarantaine de personnes participant aux conférences et aux débats.
En dehors du temps des offices religieux, les travaux du congrès étaient rythmés autour de quatre grands thèmes :
Le Concile, aujourd'hui. Le Concile et le mouvement - Les co-organisateurs, Père Christophe d'Aloisio et le président de l'ACER-MJO, Cyrille Sollogoub, le dimanche après-midi
Chaque intervention était suivie d'un débat avec la salle.
Introduisant le Congrès de l'ACER-MJO, son président, Cyrille Sollogoub faisait remarquer que, d'après lui, ce congrès est l'une des premières manifestations marquant le 90ème anniversaire de ce Concile de Moscou de 1917-18.
La préparation du Concile. Intervention de Nikita Struve.
Citant le père Hyacinthe Destivelle o.p., auquel il rendait un mérite incontestable, Nikita Struve reprenait dans les grandes lignes les propos du livre du père Hyacinthe (l'intervention de Nikita Struve s'en trouvait, en effet, fortement inspirée).
Au début de la conférence, Nikita Struve rapporte les conséquences funestes du Concile de 1666 sous la présidence du Patriarche Nikon : à savoir le schisme des vieux-croyants et la prise en main de l'Eglise par le pouvoir laïque de Pierre le Grand. Ces deux dispositions ayant assurément marqué les esprits pour se montrer plus que prudent quant à l'organisation de Concile.
Nikita Struve, en spécialiste incontestable de littérature russe, insistait sur la participation importante de l'œuvre littéraire de l'époque qui a, assurément, contribué à faire évoluer et ouvrir les esprits à la nécessité de la tenue d'un tel Concile. Esquissant, simplement en les mentionnant, le contenu de toutes les préparations et les dispositions préconciliaires, Nikita Struve rend hommage au Père Daniel - nouvellement ordonné : AXIOS ! - qui a pris connaissance d'un ouvrage en russe à ce sujet et qui nous fait part de quelques dispositions, illustrant ainsi l'immense travail de préparation de ce Concile. En fin, Nikita Struve évoque, bien sûr, la grande disposition qu'est le rétablissement du patriarcat et l'élection du Patriarche. Le rôle accru des fidèles laïques dans la vie de l'Eglise est , bien sûr, évoqué, assez longuement.
Je n'ai pas reporté, ici, quelques allusions dans la forme que Nikita Struve a usage d'exprimer à l'endroit de la hiérarchie actuelle de l'Eglise russe ; sans celles-ci, Nikita Struve ne serait plus le même.
Débat :
La première question est soumise par Mgr Gabriel, qui se réfère à une discussion qu'il a eu, lui-même, avec Mgr Michel (Storogenko). Ce dernier aurait relaté des entretiens avec le professeur Kartachev (on rappelle son rôle de Ministre des Cultes dans le gouvernement provisoire et sa part active à la préparation à la tenue du Concile) qui insistait sur le contexte éminemment révolutionnaire de la période de préparation puis de la tenue du Concile. Nikita Struve acquiesce, en le minorant, ce point d'atmosphère.
Dans l'assemble, on se pose la question de savoir si on ne cherche pas à minimiser la portée des décisions de ce Concile en invoquant le « contexte révolutionnaire ». On s'interroge de savoir pourquoi les décisions du Concile ne sont pas, à ce point, mises en vigueur. On évoque inévitablement le débat sur la démocratie et la conciliarité.
Il convient, de mon point de vue d'insister sur le contexte historique de la préparation et du déroulement du Concile, ce qui ne peut pas être occulté. L'existence même de la question sur la démocratie et la conciliarité confirme cela. Il est nécessaire d'insister aussi sur le fait que les décisions n'ont pas pu être conduites à leur conclusion et, donc, n'ont pas pu être mises en application.
Dans sa conclusion, en reconnaissant qu'il faille peut-être prendre en compte le contexte révolutionnaire, Nikita Struve a insisté sur le caractère prophétique de ce Concile mais en a bien reconnu le caractère inachevé. Nikita Struve exprime que, seul, un autre Concile pourrait contribuer à achever ce travail et lui donner toute sa portée.
La réception du Concile par l'Eglise russe (en Russie). Intervention du père Paul Adelheim.
A ce stade, il importe de « présenter » le père Paul. Disons, ce que j'en savais avant le congrès. « DS » a rempli les colonnes du forum ACER-MJO (www.acer-mjo.org) en évoquant tous les déboires subis par ce Père en conflit avec l'évêque de son diocèse de Pskov. Le parcours et les actions de ce prêtre sont rappelés, en introduction de sa conférence, par les organisateurs. Il est présenté comme un prêtre qui a subi toutes les vicissitudes du système soviétique (assassinat de ses père et grand-père) et qui, à la tête de son diocèse, avant d'en être relevé par sa hiérarchie, mène une activité pastorale exemplaire et hors du commun.
Je ne peux résumer, sereinement et objectivement, la très longue conférence (2H30 au lieu de 1H30 prévus initialement) qui étala, en douze points, les arguments selon lesquels l'Eglise de Russie n'a pas reçu et ne peut pas recevoir le Concile de Moscou. La thèse proposée se veut démontrer que les statuts actuels de l'Eglise de Russie sont tellement inspirés du sergianisme qu'ils ne peuvent pas laisser mettre en œuvre les décisions du Concile ; Statuts, d'après ce qu'on retire de cette allocution, qui font de l'évêque en Russie, une espèce de potentat local tout puissant et sans aucune possibilité de contre-pouvoir. Le père Paul s'amende et, sur la fin, a l'honnêteté de disculper la personne du Métropolite (et futur patriarche) Serge des pêchés de ceux qui ont utilisé ses décisions. Mais la charge contre l'Evêque et la hiérarchie de l'Eglise russe est, à ce point, violente que je ressors assez abasourdie de cette conférence. Je suis moins choqué par les propos qui y sont tenus et qui, finalement, n'engage que leur auteur mais plutôt par le fait que l'on ait pu vouloir s'appuyer sur ce seul témoignage pour alléguer que, décidément, l'Eglise russe n'a pas pu et ne pourra « recevoir » ce concile.
Mon sentiment, bien sûr, n'est pas important. Mais je perçois sûrement un sentiment général de malaise. Etait-ce parce que le public pensait réellement que l'Eglise russe avait plongé dans de telles pénombres ? Ou bien, au contraire, que l'orateur aveuglé par son conflit n'avait pas eu le discernement de répondre à la question qu'il devait traiter ? A savoir, le Concile de Moscou a-t-il été « reçu » par l'Eglise Russe ? Plus tard, au cours du débat avec le père Hyacinthe, j'ai obtenu une réponse à cette question. Nous y reviendrons.
Le débat.
Je n'arrivais à m'intéresser au débat que de manière très distante. Une question comme « pourquoi êtes-vous alors devenu prêtre ? » trouve la réponse étonnante suivante : « à l'époque soviétique, les évêques étaient humains et on pouvaient avoir des rapports cordiaux avec eux ! ».
A la suggestion du père Christophe d'Aloisio de solliciter l'intercession du Patriarche de Constantinople justifiée, d'après lui ; en de telles circonstances, il faudra toute l'autorité de Mgr Gabriel qui s'avoue troublé par une telle conférence, qui se demande « comment il pourrait aider » mais qui indique qu'il doute de l'utilité d'une démarche vers le patriarcat de Constantinople ; Le patriarche Bartholomée, recevant jusqu'à 200 plaintes par jour, a peu le loisir de répondre à toutes les sollicitations.
Pour ma part, je pense que le choix de l'intervenant, pour ce sujet, n'a pas été soigneusement conduit. Ou alors est-ce moi qui suis naïf à l'endroit de l'Eglise russe et qui ne voit pas renaître la bête immonde qui se tapirait dans cette institution dont les statuts sont tout droit inspirés du sergianisme de l'époque stalinienne ? Enfin, l'honnêteté intellectuelle me pousse à reconnaître qu'il conviendrait mieux de relire, à froid, le texte de cette conférence avant de transformer sa perception en jugement définitif.
Pour des raisons familiales, je quittais le congrès avant vêpres et ne participais pas à l'intéressante narration (qui devait se tenir le soir-même sur la suggestion du vice-président de l'ACER-MJO, Michel Sollogoub) de ce prêtre martyrisé par son évêque et aux doléances duquel le Patriarche Alexis, maintes fois sollicité, resterait, apparemment, inexorablement sourd.
Je ne peux pas taire ce commentaire supplémentaire et je me dois d'écrire ceci. Il est grandement possible que ce prêtre ait réellement subi les traumatismes qui ont été évoqués. Je n'ai aucune volonté de le priver du crédit de la vérité. Il est aussi possible que son évêque ne soit pas à la hauteur de la mission épiscopale qui lui est conférée. Ce n'est pas à moi d'en juger. Mais il est deux points que je veux relever :
Le lecteur aura deviné mon état d'esprit et comprendra que je n'ai pas trouvé l'énergie pour exprimer ma recommandation : celle que l'ACER-MJO ne devrait pas seulement réserver l'exclusivité de son attention aux seules personnalités en rupture ou en dissidence et ne bâtir sa seule raison d'être que sur leur existence. Nous sommes, tout de même à une autre époque. L'ACER-MJO devrait aussi s'intéresser à l'expérience contemporaine de l'Eglise russe qui a subit le martyre, qui ressuscite (certes avec la marque des clous) et qui porte, en elle, une autre facette de la tradition russe qu'il convient aussi de connaître pour se réclamer de cette tradition vivante.
La réception du Concile en Europe occidentale – Intervention du Père Hyacinthe Destivelle o.p.,
Annoncé comme « invité d'honneur », dans l'introduction du président de l'ACER-MJO et dans la présentation de Nikita Struve, la conférence du père Hyacinthe Destivelle o.p. se devait vraiment d'être le moment central de ce congrès. Il est absolument certain que la lecture, avant le congrès, de son livre « Le concile de Moscou » fut d'une très grande aide pour la compréhension des conférences.
Soulignant l'admirable travail de ce Concile, le père Hyacinthe devait, bien sûr, confirmer l'atmosphère et le contexte éminemment révolutionnaire de la préparation et de la tenue du Concile de Moscou de 1917-18.
Après avoir introduit les critères qui caractérisaient la bonne réception d'un concile, le père Hyacinthe, reconnaissant le peu d'écrits en Europe occidentale, indique que les opinions exprimées par les théologiens n'ont pu se faire que tardivement et, seulement, sur la base d'une connaissance partielle des documents du concile.
Ainsi, les pères Nicolas Affanassieff, Georges Florovsky, Alexandre Schemann et Jean Meyendorf (éminentes références théologiques de l'ACER-MJO) ont été cités avec les interrogations que ceux-là avaient exprimées quant au Concile de Moscou de 1917. Il serait trop long de détailler ces points. Le renvoi au livre du père Hyacinthe ou aux minutes du congrès, quand elles seront rendues publiques, me paraît bien plus approprié. Par cette démonstration, le père Hyacinthe voulait démontrer que la réception du Concile de Moscou, en Europe occidentale, selon les critères qu'il avait énoncés en introduction, ne pouvait être considérée comme totalement acquise.
Le père Hyacinthe conviendra, dans la suite de son intervention, que parmi ceux qu'il avait étudiés le plus, en détail, les statuts de l'Archevêché des Eglises de tradition russe sous l'omophore du Patriarche œcuménique étaient ceux qui s'inspiraient le plus des dispositions du Concile de Moscou de 1917.
Je ne suis pas absolument persuadé que ces deux affirmations avaient été attendues conjointement.
Le débat.
Bien sûr, le débat fut fort riche.
Michel Sollogoub, vice-président de l'ACER-MJO, s'étonne que le Métropolite Euloge, à l'origine de la création de l'Archevêché, ne soit pas cité. Il est, bien sûr, précisé que Mgr Euloge a effectivement présidé la commission sur la réforme liturgique dont les travaux, justement, n'ont pu être menés à leur terme. Toutefois, ses mémoires ne font, nulle part, mention d'une quelconque participation aux travaux préconciliaires.
Un débat est initié sur le statut comparé de l'exarchat et du diocèse de Chersonèse. J'avoue, interpellé, n'avoir pas su renseigner sur les raisons qui ont poussé ce dernier à opter pour des statuts différents, plus proches, d'après certains, de ceux en vigueur dans l'Eglise catholique.
Bien que reconnaissant être en marge du sujet (mais frustré par la conférence de la veille), j'obtiens une réponse sur la mise en œuvre timide, mais, parfois, salvatrice des dispositions du Concile, en Russie. Le père Hyacinthe exposera trois éléments les plus explicites de la mise en œuvre des dispositions du Concile de Moscou dans l'Eglise en Russie, au cours du XXème et en ce début du XXIème siècle :
Sur le principe de l'élection des évêques, Mgr Gabriel rappellera la disposition en vigueur dans l'Archevêché, selon laquelle, l'assemblée diocésaine propose des candidats qui sont élus par le synode des évêques, à Constantinople.
Un débat est amorcé sur la réforme liturgique. Il se prolongera l'après-midi.
Conclusion personnelle
Mais au lieu de relater le dernier débat, je prends la responsabilité de donner ma conclusion personnelle de ce que j'ai retiré de ce très intéressant congrès.
Je suis absolument persuadé que la préparation et la tenue du Concile de Moscou de 1917-18 en font assurément un très grand Concile de l'Eglise russe : un Concile qui a eu des effets notoirement salvateurs, un concile qui a su travailler sur des dispositions absolument uniques et novatrices dans l'Eglise. Mais, oublier le contexte très violemment révolutionnaire qui a entouré ce Concile, est une erreur importante. Eriger ce Concile comme une norme incontournable alors que les travaux n'ont pas été achevés et toutes les décisions n'ont pas été entérinées, est une démarche quelque peu hasardeuse. Tout comme il est hasardeux de s'évertuer à démontrer que l'Eglise russe aurait renié les enseignements de ce Concile.
En effet, je retrouve cette phrase extraite des mémoires de Mgr Euloge (page 238 de l'édition en français du livre "Le chemin de ma vie") justement dans les seules quelques pages où il évoque le Concile de Moscou de 1917. Mgr Euloge écrit : "La "gauche", c'est à dire les professeurs laïcs des académies théologiques et les prêtres "libéraux", étaient contre le patriarcat. On parla de nouveau, comme à la commission pré-conciliaire, de l'odieux principe monarchique, du pouvoir totalitaire dont la Révolution nous avait libérés - ce n'était pas pour y revenir! On retrouvait toujours le même libéralisme invétéré des intellectuels : une fidélité à des idées abstraites qui ne tenaient pas compte des faits et de la réalité historique".
Heureusement, des congrès comme celui que l'ACER-MJO vient d'organiser, sont là pour corriger des idées préétablies. Ils sont l'occasion de faire découvrir, à tous, des points de vue différents. Je ne puis que me réjouir de l' « Esprit d'équipe » qui a animé ce Congrès ; L'esprit d'équipe est un terme judicieux, simple et moderne que le père Christophe a eu raison de proposer pour illustrer l'Esprit du Concile de Moscou.
Puissent encore nos échanges, dans ces congrès, faire évoluer les esprits pour recevoir, non seulement les enseignements de ce concile de Moscou, mais, surtout, le message prophétique que Mgr Euloge adressa, à la fin de sa vie: C'est-à-dire, le retour, pour le diocèse qui lui avait été confié, sous l'omophore du Patriarche de Moscou, dont le rétablissement est, certainement, la disposition la plus incontestablement concrète, adoptée et mise en œuvre lors du Concile de Moscou de 1917-18.
Et, peut-être, la lecture des enseignements du concile de Moscou de 1917-18 devrait se faire, au sein de l'ACER-MJO, en tenant « compte des faits et de la réalité historique ».
Gueorguy