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O L T R
MOUVEMENT POUR UNE ORTHODOXIE LOCALE
DE TRADITION RUSSE en Europe occidentale
“ Nous avons transmis la foi, l’espoir et l’amour du Seigneur à nos jeunes et aux natifs d’Occident...
Mais nous ne pouvons vivre que parce que nos racines demeurent dans la Sainte Russie. ”

Interview du metropolite cyrille de smolensk et kaliningrad

1101632-1403579«A la fin du mois d’octobre, à l’occasion de l’ouverture à Bordeaux d’une nouvelle paroisse de l’Église Orthodoxe Russe (Patriarcat de Moscou), se trouvait en France le métropolite Cyrille de Smolensk et Kaliningrad, président du Département des Relations Extérieures du Patriarcat de Moscou.

Le 24 octobre 2004 il a rencontré à Paris le journaliste français Victor Loupan, connu pour ses nombreux reportages sur la Russie dans le “Figaro-Magazine”. Victor Loupan est également membre fondateur de l’OLTR».

L’hebdomadaire russophone «La Pensée Russe» (Paris) publie l’entretien du métropolite Cyrille avec Victor Loupan.

(«La Pensée Russe», N40 (4525), pp. 1, 4-5)

TRADUCTION PRIVÉE

– Votre Éminence, il y a peu s’est tenu à Moscou le Concile des évêques de l’Église orthodoxe russe, dont le déroulement a été suivi avec attention, y compris à l’étranger. Bien sûr, un des thèmes particulièrement important fut la question du rapprochement actuel avec l’Église russe hors frontières. Mais le Concile a également exprimé sa préoccupation quant à « la division canonique des orthodoxes de la diaspora qui rattachent leur vie ecclésiale aux traditions spirituelles de l’orthodoxie russe, mais ne participent pas au processus de réunion en cours entre le Patriarcat de Moscou et l’Église hors frontières ».

– Cette question a été évoquée au Concile, à l’initiative de Sa Sainteté. Le Patriarche a rappelé que la séparation entre l’Église et la diaspora russe était une conséquence tragique de la révolution et de la guerre civile. Cela concerne aussi bien l’Église hors frontières que l’Exarchat de Paris. Or, les raisons politiques de la division appartiennent au passé. Aussi, Sa Sainteté le Patriarche Alexis II a indiqué que le rétablissement de l’unité ecclésiale est un devoir que nous ne pouvons différer. Il faut également tenir compte du fait que cette question est liée à un aspect extrêmement important pour la Russie, celui de l’unité spirituelle du peuple russe. Nous devons surmonter spirituellement les conséquences de la guerre civile ! C’est en rapport avec cela, que Sa Sainteté a évoqué sa lettre du 1er avril 2003, adressée aux orthodoxes de tradition russe en Europe occidentale.

– Cela signifie-t-il que la lettre du 1er avril 2003 est encore d’actualité ? A Paris, certains considèrent que, puisque le Métropolite Antoine, à qui le Patriarche souhaitait confier la charge de la réunion, est mort et que le dialogue avec l’Église hors frontières a suivi une autre voie, la proposition de Sa Sainteté n’est plus à l’ordre du jour. Mais si elle l’est, comment s’inscrit-elle dans le dialogue avec l’Église orthodoxe russe hors frontières ?

– La lettre du Patriarche reflète notre vision de principe quant à l’avenir de la diaspora russe dans le monde, et donc en Europe occidentale. En ce sens, le document porte une signification intangible. Nous ne récusons pas et n’avons aucune intention de récuser la position de principe exprimée dans la lettre. Dans ses grandes lignes, elle est également partagée par nos frères de l’Église russe hors frontières. Même s’ils considèrent qu’aujourd’hui, leurs fidèles d’Europe occidentale seraient plutôt pour le rétablissement de l’unité avec l’Église russe tout en restant dans la configuration de l’Église hors frontières, telle qu’elle existe à ce jour.

– Dans quels délais peut-on espérer le rétablissement de la communion eucharistique entre le Patriarcat de Moscou et l’Église hors frontières ? Et est-ce qu’elle sera suivie d’un rétablissement de l’unité juridictionnelle ?

– Le dernier Concile des évêques a approuvé les travaux des commissions du Patriarcat de Moscou et de l’Église hors frontières. Ces travaux ne sont pas encore achevés. Ils supposent néanmoins la mise au point de conditions nécessaires au rétablissement de la communion eucharistique et de l’unité canonique. Nous prévoyons que l’Église hors frontières, dans sa composition actuelle, sera une partie auto-administrée de l’Église russe locale unie. Quant à la manière dont se développeront les relations entre les structures administratives parallèles existant en Europe occidentale, en Amérique et ailleurs, nous le verrons bien avec le temps. Il vaut mieux ne pas tenter de tout décider à l’avance. En ce qui concerne les délais du rétablissement de l’unité eucharistique, pour le moment tout ce que l’on peut dire est que, si les membres du Concile n’avaient pas été optimistes à ce sujet, ils n’auraient pas donné au Saint Synode les pouvoirs nécessaires pour accomplir cet acte canonique, mais auraient proposé d’y revenir dans 4 ans, lors du Concile des évêques suivant.

- Selon vous, quelle signification cela a-t-il pour l’Exarchat, cette autre branche de la présence ecclésiale russe en Occident ?

- Je pense que le rapprochement entre le Patriarcat de Moscou et l’Église russe hors frontières sera une source d’inspiration pour ceux qui, au sein de l’Exarchat, aspirent au dépassement des divisions entre les parties séparées de l’Église russe. Il s’agit bien sûr, et avant tout, de ceux qui se considèrent comme les héritiers des traditions de l’Église russe unie d’avant la révolution et qui ont donc conscience du caractère anormal de la persistance d’une division dont les causes appartiennent au passé. Ces forces pousseront naturellement l’Exarchat à prendre part au processus d’unification.

– Dans votre rapport au Concile vous évoquiez l’incompréhension avec laquelle les nouveaux dirigeants de l’Archevêché avaient accueilli le message de Sa Sainteté le Patriarche Alexis II. Nous profitons de votre venue à Paris, pour vous demander de nous préciser certains points.

– Je trouve naturel que les partisans de l’unité se heurtent à une certaine incompréhension de la part de ceux pour qui le lien avec la tradition spirituelle russe n’est ni important ni nécessaire. Cependant, si nous revenons à la lettre de Sa Sainteté le Patriarche Alexis II, nous voyons que le modèle de Métropole proposé, répond aussi bien aux attentes des partisans de la réunion, qu’au désir de ceux qui souhaitent préserver les particularités de la vie ecclésiale, établies pendant les soixante-dix ans d’existence de l’Exarchat. Il est regrettable cependant de voir se développer un parti pris contre ceux qui ne partagent pas toujours les projets d’avenir des dirigeants de l’Exarchat, et en particulier ceux qui désirent voir se développer des contacts plus étroits avec l’Église orthodoxe russe.

– Son Éminence, l’Archevêque Gabriel, alors locum tenens, a publiquement promis de soumettre les propositions du Patriarche Alexis II à un large débat. Elu, il n’a toujours pas tenu sa promesse, et ne semble pas désireux de le faire dans l’avenir proche, malgré les demandes répétées de nombreux membres de l’Archevêché. Il en résulte qu’aucune réponse officielle n’a été faite. Cependant, Mgr Gabriel a affirmé, dans un entretien publié dans la « Pensée Russe », avoir envoyé une réponse personnelle à Sa Sainteté le Patriarche de Moscou et de toute la Russie, sans divulguer sa teneur, mais en critiquant sévèrement le Patriarche de ne pas avoir répondu à sa missive.

– Cette lettre a effectivement été reçue. Malheureusement, elle ne contenait pas une réponse au message du Patriarche. Mgr Gabriel a vu dans ce message un supposé complot contre l’Exarchat. Des accusations sans fondements sont développées dans sa lettre à partir de ces soupçons. Quant au ton de la lettre, il était si tranchant qu’une réponse écrite de la part de Sa Sainteté devenait impossible. La lettre de Mgr Gabriel ne correspondait vraiment pas au cadre usuel et au style officiel d’une correspondance avec le Primat de l’Église Russe Répondre sur le même ton aurait été indigne du Patriarche. Cependant, et avec la bénédiction de Sa Sainteté, j’ai donné oralement à l’archevêque Gabriel une réponse détaillée, lors de notre entrevue du 15 février dernier, à Zürich.

– Essayons de revenir sur les divergences qui existent au sein de l’Exarchat et que nous avons déjà évoquées. Le cataclysme de 1917 a lancé des millions de Russes sur les routes du monde. Parmi eux se trouvait un grand nombre de prêtres et d’hiérarques. Ils ne devaient jamais revoir leur pays, mais éparpillés de par le vaste monde, ils ont fondé des centaines de paroisses orthodoxes qui existent toujours. Quel regard portez-vous sur cette orthodoxie russe qui a fini par s’enraciner en Occident ? Est-ce encore une orthodoxie russe ou déjà une orthodoxie "occidentale" qui n’a de russe que ses origines ?

– Les prières des orthodoxes russes se trouvant hors de Russie, leur amour de la patrie souffrante, ont aidé l’Église russe à supporter les persécutions. Elle a été soumise à de cruelles épreuves. En soixante-dix ans de régime athée elle a donné plus de martyrs de la foi que l’ensemble de la chrétienté en deux mille ans d’histoire. Pendant ce temps, dans les pays d’Europe occidentale, les exilés portaient leur ministère particulier. Souvenons-nous qu’au début du siècle dernier il n’y avait en Europe qu’un nombre fort réduit d’églises orthodoxes, dont la majorité était attachée aux missions diplomatiques ou située à proximité des stations balnéaires. On ne pouvait donc parler d’existence véritable de communautés orthodoxes, ni de la participation des habitants de souche à leur vie. Après la révolution de 1917, pour la première fois depuis des siècles, eut lieu une véritable rencontre entre l’Occident et l’orthodoxie. Je ne vais pas m’étendre sur la signification qu’a eu cette rencontre pour les chrétiens occidentaux ; on pourrait en parler longuement. Mais les orthodoxes ne sont pas restés non plus sans acquis importants. J’entends, par exemple, l’apparition de la remarquable école de « théologie de Paris ». Ceux d’entre nous, vivant en Russie soviétique, qui connaissaient les travaux des représentants de cette école l’ont toujours perçue comme une partie importante de l’héritage de l’Église russe. L’émigration accomplissait la partie de la vie ecclésiale qui ne pouvait alors se développer en Russie. Et voilà que le colosse athée est tombé. L’Église martyre peut à nouveau reprendre la vie ecclésiale dans sa plénitude. « L’héritage de Paris » revient en Russie et cela fait partie de notre renaissance. Nous avons toujours cru non seulement à un retour intellectuel de la branche occidentale de l’orthodoxie russe, mais aussi au rétablissement du lien organique avec l’Église-mère, lien temporairement coupé par des circonstances politiques.
À côté de cela, nous savons parfaitement que l’un des résultats du témoignage de nos compatriotes en Occident est que des fidèles orthodoxes d’origine autre que russe composent désormais une partie des communautés fondées par nos émigrés. Nous savons aussi que les descendants de la première vague d’émigration ne se sentent plus comme des exilés, mais comme des citoyens à part entière des pays où ils sont nés et où ils se sont assimilés culturellement. Cependant, comme d’autres ressortissants de pays orthodoxes, ils restent liés à la tradition de leur pays d’origine. D’autre part, ces dernières années, un nombre important d’orthodoxes venus à titre définitif ou temporaire est apparu en Europe occidentale. Le « rideau de fer » n’est plus. Le monde est en proie à la globalisation. Dans ces conditions, les gens souhaitent particulièrement sauvegarder un lien privilégié avec la tradition religieuse nationale.
Ainsi, l’orthodoxie russe d’Europe occidentale est un phénomène complexe qui traverse une nouvelle phase de son développement. Si l’on parle de principes, l’avenir appartient à l’Orthodoxie locale, organisée selon des critères territoriaux plutôt que nationaux, combinant langues et cultures, sans nivellement ni écrasement des unes par les autres, dans le respect des traditions reçues, tout en les inscrivant dans une dynamique créative. Cependant, forcer ce développement serait une manière d’imposer à Dieu des délais qui nous semblent justes à nous, les hommes. Les actes qui donnent aux structures ecclésiales de la diaspora davantage d’autonomie, selon leur degré de maturité, vont dans la bonne direction.

– Monseigneur, ce que vous dites surprendra certains. Ici, en Europe occidentale, on accuse souvent l’Église russe de défendre une ecclésiologie dévoyée, nationaliste et « autocéphaliste »; de considérer que tous les Russes, ou les descendants de Russes de par le monde, ainsi que ceux qui se sont converti à l’orthodoxie de par la mission de l’Église russe, doivent rester définitivement dans la juridiction du Patriarcat de Moscou.

–De tels propos ne peuvent provenir que de personnes ignorantes de l’histoire et de la pratique réelle de l’Église russe. Nous avons systématiquement défendu le point de vue que je viens de vous exposer, et ce depuis le début des années soixante du siècle dernier. C’est d’ailleurs consigné dans de nombreux documents des assemblées pré-conciliaires pan-orthodoxes, qui eurent lieu d’abord à Rhodes, puis à Chambésy. Les représentants de l’Église russe ont toujours exprimé l’idée suivante : le christianisme se propage par la mission des Églises, qui, lorsqu’elle porte ses fruits, devient la source de nouvelles communautés ecclésiales. Ensuite, ces communautés, situées dans des terres qui n’appartiennent au territoire d’aucune des Églises locales, évoluent peu à peu vers l’autonomie ou l’autocéphalie. C’est le modèle que nous a légué l’Église primitive. Le ministère missionnaire authentique doit avant tout se caractériser par l’esprit de sacrifice et ne pas être obscurci par l’égoïsme et la soif de pouvoir, sinon il n’aura plus rien en commun avec l’esprit apostolique.
L’Église russe a, à maintes reprises, démontré dans la pratique son attachement aux principes évoqués. Ainsi, souvenez-vous, le statut d’autocéphalie avait été donné à l’Église orthodoxe d’Amérique, et celui d’autonomie, à l’Église orthodoxe du Japon. Il y a peu, un très haut degré d’indépendance a été accordé à des Églises auto-administrées sur le territoire même du Patriarcat de Moscou : en Ukraine, en Moldavie, en Estonie, en Lettonie. Personne ne peut reprocher au Patriarcat de Moscou de vouloir concentrer le pouvoir ecclésial entre ses mains.

– Ces processus de décentralisation et de transmission du pouvoir ecclésial ne se sont-ils pas heurtés à des oppositions ?

– Il faut l’admettre, ces décisions ne furent pas prises sans peine. Tout d’abord il y avait l'opposition de la part d’Églises qui n’étaient pas prêtes à agir de même avec leurs propres diasporas. Certains craignaient que les actes du Patriarcat de Moscou ne « catalysent » des processus identiques dans les diasporas liées à d’autres Patriarcats. Cela fut particulièrement sensible lors de la donation de l’autocéphalie à l’Église d’Amérique. Au sein même de l’Église russe, les discussions étaient enflammées, car l’Église orthodoxe d’Amérique est la chair de la chair de notre Église, l’orthodoxie y fut implantée par le dur labeur des missionnaires russes. Jusqu’en 1922 il n’y avait qu’une seule juridiction, celle de l’Église russe, alors même que les paroisses et leurs fidèles étaient multilingues. En fin de compte, le point de vue de Nicodème, Métropolite de Leningrad et de Novgorod, a prévalu, en 1970. Les raisons de la décision qui fut alors prise n’étaient ni conjoncturelles ni politiques. Ainsi que je l’ai déjà dit, elles découlaient de la tradition apostolique et correspondaient de surcroît à la vision qu’avait de l’avenir de l’orthodoxie sur le continent américain Saint Tikhon, futur Patriarche, archevêque des Aléoutes et d’Amérique du Nord au début du XXème siècle. Le temps a confirmé la pertinence de la décision prise. L’Église d’Amérique se développe de façon régulière, elle a prouvé sa viabilité et représente par bien des aspects un exemple à suivre pour les chrétiens orthodoxes d’Amérique du Nord, appartenant à d’autres juridictions.

– Mais pourquoi, alors, l’Église russe a-t-elle gardé dans sa juridiction certaines paroisses en Amérique ?

– Il faut savoir que toutes les paroisses de la métropole ne soutenaient pas l’idée de l’indépendance de l’Église d’Amérique et ne souhaitaient pas lier leur existence avec cette Église. Nous ne pouvions pas l’ignorer. D’un point de vue pastoral, il n’aurait pas été juste d’abandonner ces paroisses à un destin incertain, car elles auraient alors pu devenir schismatiques. Je voudrais attirer votre attention sur le fait que la liste des paroisses demeurant dans la juridiction du Patriarcat de Moscou avait été établie et consignée dans le Tomos d’attribution de l’autocéphalie. Depuis nous n’avons pas ouvert une seule paroisse supplémentaire, même s’il devient chaque jour plus urgent d’améliorer notre action pastorale, à cause du grand nombre d’orthodoxes venant de Russie et des pays de la CEI qui sont arrivé en Amérique récemment, et qui ne s’imaginent dans aucune Église autre que l’Église russe. Nous essayons de trouver une solution en commun avec l’Église orthodoxe d’Amérique, avec les représentants de laquelle nous discutons de la meilleure manière de s’occuper de ces gens-là.

– Pourquoi les paroisses patriarcales des États-Unis et du Canada n’intègrent-elles pas l’Église orthodoxe d’Amérique ?

– C’est une question complexe, liée avant tout à la psychologie humaine. Toute Église multinationale se doit de veiller à l’équilibre, afin qu’aucun groupe ethnique, culturel, linguistique ne se sente lésé de quelque manière que ce soit.

– Les Églises orthodoxes ont déjà tenté de régler le problème de la diaspora. Comment expliquer le peu d’efficacité de ces démarches ?

– Selon moi, l’erreur essentielle vient du fait que dans ces assemblées, convoquées par le Patriarcat de Constantinople et se déroulant sous la présidence de ses hiérarques, les représentants des Églises locales ont essayé de résoudre les problèmes de la diaspora sans rattacher à ce processus les représentants de cette même diaspora. L’Église orthodoxe russe a dès le départ indiqué que cela n’était pas correct. Je me souviens que lors de la dernière session de la Commission préparatoire inter-orthodoxe, en novembre 1993, à Chambésy, j’ai moi-même reposé cette question aux participants. Malheureusement, notre préoccupation ne trouva pas d’écho.

– Et les Assemblées des évêques ? Leur création fut le résultat d’une décision prise dans le processus pré-conciliaire. Qu’en pensez-vous ?

– C’était une bonne décision. L’idée selon laquelle les assemblées régionales sont appelées à devenir le noyau autour duquel se formeraient peu à peu les synodes des nouvelles Églises locales était intéressante. Cependant il y avait un autre point de vue: celui qui faisait desdites assemblées des étapes intermédiaires menant à l’installation dans tous les pays de la diaspora d’un pouvoir ecclésial complet sous la juridiction d’un seul Patriarcat. Cela s’est d’ailleurs reflété dans les discussions concernant la présidence des assemblées. Nous considérions que les évêques devaient eux-mêmes choisir les présidents ; nous proposions également une rotation. Mais Constantinople insistait sur le fait que ses représentants devait avoir la primauté. Le résultat est que, dans beaucoup de parties du monde, les assemblées épiscopales projetées ne se sont pas créés.

– En France il existe une Assemblée des évêques orthodoxes. Il a été parfois dit que le Patriarche de Moscou semblait ignorer son existence.

– Je ne comprends pas. Notre Église participe activement à l’Assemblée. L’archevêque de Chersonèse Innocent en est membre. L’Assemblée est une initiative utile qui permet d’améliorer l’action commune des orthodoxes.

– Comment décririez-vous l’état actuel des relations entre le Patriarcat de Moscou et l’Exarchat des paroisses orthodoxes russes en Europe occidentale ? Qu’est ce qui a changé ces dernières années ? Comment évoluent les relations ?

– Nous appartenons au même Corps du Christ, dans lequel nous avons la communion de l’amour et de la plénitude de la grâce propre à l’Église. Cela concerne nos relations avec chacune des Églises orthodoxes locales et leurs diocèses. Mais des liens particuliers nous lient à l’Exarchat, puisqu’il a fait partie de l’Église russe et que c’est seulement à cause de circonstances politiques qu’il a dû passer sous la juridiction de Constantinople. C’est pour cela que le processus de distanciation vis-à-vis de l’Église russe que nous constatons ces derniers temps dans l’Exarchat et qui s’exprime de différentes façons ne peut pas ne pas nous inquiéter.

– Est-il vrai que sous le défunt chef de l’Exarchat, l’archevêque Serge, se déroulaient des négociations ayant pour finalité la réunion ? Est-ce que ces négociations étaient bien avancées ? On dit que la lettre de Sa Sainteté a été une conséquence des contacts établis entre l’Église russe et Mgr Serge, de bienheureuse mémoire.

– Monseigneur Serge, de bienheureuse mémoire, eut le grand mérite de rétablir la communion eucharistique entre l’Exarchat et l’Église orthodoxe russe. Il n’a jamais oublié quelles étaient les raisons qui amenèrent l’Exarchat à se séparer de l’Église orthodoxe russe. Lorsque ces raisons qui, je le répète, avaient un caractère politique, disparurent avec la chute du rideau de fer, il entama un processus pour surmonter les séquelles des divisions politiques dans la vie ecclésiale. Il avait bien conscience du fait que la situation actuelle de l’Exarchat, dont on commençait à oublier le caractère temporaire, ne correspondait plus aux nouvelles réalités, ni à la mission particulière de l’Exarchat en Europe occidentale. Dans le cadre de cet objectif, Mgr Serge avait créé une commission appelée « Avenir de l’Archevêché ». C’est au cours des travaux de cette commission qu’a été évoquée l’idée de créer une région métropolitaine auto-administrée en Europe Occidentale, qui pourrait réunir les évêchés et les paroisses de tradition russe. Cette idée fut positivement accueillie à Moscou. A débuté alors un travail commun sur un projet de statuts pour ladite Métropole. Malheureusement, la mort a empêché Mgr Serge, de bienheureuse mémoire, de réaliser sa vision de l’orthodoxie russe en Europe occidentale.

– Vous avez évoqué un projet de statuts de cette Métropole. Pourriez-vous en dire plus à propos de ce document ?

– À la base de ce document se trouvent les statuts déjà existants de l’Archevêché et ceux des parties auto-administrées du Patriarcat de Moscou. Nous avons également largement tenu compte des normes définies par le Concile local de 1917, dans la mesure, bien sûr, où elles peuvent encore être adaptées à la situation actuelle. Il en est sorti un document, pas encore totalement définitif et pour cause, mais bien charpenté, et qui donnait satisfaction aux deux côtés. Ces statuts définissent la situation canonique de la région métropolitaine, les droits et les devoirs du Primat et des évêques diocésains, la compétence des organes dirigeants – l’Assemblée générale, le Conseil des évêques, le Synode, le Tribunal ecclésiastique – leurs objectifs et les modalités de leur travail sont détaillés. L’une des spécificités de ce document est, dirais-je, le fait qu’il prévoie une large représentation des clercs et des laïcs dans les organes dirigeants de la Métropole.

– Sera-t-il possible de prendre connaissance du texte de ces statuts, ou bien est-il enseveli dans les archives ?

– Je pense qu’il n’y aucune objection de principe. Nous sommes prêts à extraire la dernière version de ces statuts de nos archives.

– Quels sont vos sentiments à propos de l’activité du mouvement récemment créé en France – l’OLTR ?

– Nous suivons avec intérêt les activités de ce mouvement. Nous partageons un grand nombre d’opinions exprimées par ses membres. L’ important est qu’une discussion sérieuse et consistante a débuté. Rien qu’en cela, je vois une conséquence importante du message patriarcal du 1 avril 2003. Il a donné l'impulsion à une réflexion sur l’histoire de la Russie et le rôle actuel de l’émigration russe. Il est normal que des opinions diverses s’expriment. Même s’il est encore prématuré de tirer des conclusions, une chose est néanmoins certaine : la question de l’unité de la diaspora russe est d’actualité et nécessite une solution. Cette dernière doit découler de l’établissement d’une situation canonique normale dans la diaspora orthodoxe d’Europe occidentale qui, d’un côté a un lien organique avec les Églises-mères et, de l’autre aspire à la formation de l’Eglise locale.

– Nombre d’orthodoxes d’Europe occidentale lient la résolution de leurs problèmes au Concile pan-orthodoxe à venir. Quels sont les perspectives réelles de la convocation d’un tel concile ?

– L’Église orthodoxe russe évoque en permanence la nécessité de convoquer un tel Concile et se déclare prête à participer activement aux travaux préparatoires. Il est regrettable que le processus pré-conciliaire se soit ralenti. Vous en connaissez la cause : ce sont les événements en Estonie, qui furent d’ailleurs la manifestation de contradictions accumulées et non résolues. Mais il ne faut pas rester les bras croisés. Nous devons agir dès à présent pour essayer de résoudre, tous ensemble, les problèmes auxquels fait face l’Orthodoxie universelle.

Points essentiels du projet de Statuts pour une Métropole
rassemblant les paroisses de tradition russe en Europe Occidentale

Mgr Cyrille a remis à Victor Loupan le projet de statuts élaboré avec l’archevêque Serge (Konovaloff), statuts ayant en vue la création d’une région métropolitaine, qui répondrait aux vœux des fidèles désirant l'émergence d'une Eglise locale orthodoxe de tradition russe en Europe occidentale. Cette entité serait une Métropole auto-administrée et disposant de son autonomie et pourrait réunir rapidement toutes les paroisses de tradition russe en Europe occidentale qui souhaiteraient la rejoindre.

Les statuts projetés de la Métropole, œuvre commune, frappent par leur ressemblance avec ceux de l'Archevêché actuel. Ces derniers comprennent 92 articles et le projet de la Métropole en comprend 87, plus un chapitre correspondant à l'organisation des diocèses. Des articles entiers des statuts de l'Archevêché sont partiellement ou totalement repris dans le projet de statuts de la Métropole, en particulier pour :

  • les principes de l'organisation de la Métropole élargie à plusieurs diocèses afin de couvrir l'ensemble du territoire;
  • sa conformité au rite orthodoxe russe et aux décisions du Concile de Moscou de 1917-1918;
  • la constitution des organes directeurs répondant aux mêmes principes et définitions que ceux de l'Archevêché dirigé alors par Son Eminence l'Archevêque Serge, à savoir :
      • une assemblée générale (Sobor) composée comme dans l'Archevêché de tous les clercs et laïcs élus dans chaque paroisse suivant les principes en vigueur dans l'Archevêché ;
      • un Conseil (Synode) composé du Métropolite dirigeant, des Evêques diocésains et auxiliaires et à parité de clercs et de laïcs élus par l'assemblée générale ;
      • un Métropolite dirigeant et des évêques diocésains élus par l'Assemblée Générale par un vote à bulletin secret, parmi les candidats proposés par le Synode de la Métropole.

Cette approche devait servir, dans l'esprit des auteurs, à réunir dans un premier temps les juridictions de tradition russe en Europe occidentale au sein d'une Eglise unie de tradition russe. Dans un deuxième temps, concourir à la création d'une Eglise locale orthodoxe européenne, regroupant toutes les autres juridictions orthodoxes (roumaine, serbe, bulgare, grecque...).

Catégorie : Documents

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