L'OLTR propose un document qui permet de comprendre un certain nombre de principes canoniques régissant la diaspora. Il s'agit, surtout, de l'interprétation, couramment répandue au sein du Patriarcat de Constantinople et unaniment contestée, de la 28ème décision du IVème Conclie de Chalcédoine.
Il s'agit, ici, d'une lettre de Sa Sainteté le Patriarche de Moscou et de toute la Russie Alexis II à Sa Sainteté le Patriarche Oecuménique Bartholomée qui explique la position de l'Eglise de Russie.
La lettre publiée, ci-dessous, est datée du 18 mars 2003. Elle fut en partie publiée en anglais sur le site Orthodox Christian Laity.
La présent texte français est une traduction privée, effectuée à partir de l’original en russe.
----------------------------
A Sa Sainteté Bartholomée
Patriarche œcuménique
et Archevêque de Constantinople-Nouvelle Rome
Votre Sainteté, Bien-aimé Frère et concélébrant en Dieu,
Nous vous saluons fraternellement et vous souhaitons de nombreuses grâces et miséricordes de la part de Dieu et de Notre Sauveur.
Nous avons reçu le message de Votre Sainteté N° 129 du 11 avril 2002 sur la situation de l'Archevêché des paroisses orthodoxes russes en Europe occidentale. En lisant cette lettre, nous avons été très troublés par le très grand nombre de reproches amers et d'accusations injustes que vous y formulez. Toutefois, nous souhaitons suivre le précepte du très sage Salomon (Proverbes 17, 9) "qui recherche l'amitié, oublie les torts ; y revenir sépare de l'ami". Ne souhaitant pas mettre à l'épreuve inutilement le sentiment d'amour fraternel entre nos Eglises, nous n'allons pas nous arrêter en détail sur l'examen de ces expressions peu heureuses car nous pensons qu'il s'agit plutôt de fâcheux malentendus provenant, à notre avis, d'une compréhension erronée des problèmes que vous avez soulevés. Voilà pourquoi nous pensons qu'il est plus utile de passer immédiatement à l'évaluation de l'interprétation de la règle 28 du quatrième Concile œcuménique proposée par Votre Sainteté, interprétation avec laquelle nous sommes en désaccord catégorique.
Cette règle définit réellement le domaine de responsabilité du siège patriarcal de l'Eglise de Constantinople en le délimitant par les diocèses anciens d'Asie (proconsulaire), de Thrace et du Pont, c'est à dire les provinces qui appartiennent maintenant à la Turquie, la Bulgarie et la Grèce. Il n'en découle pas du tout que doive être soumise au Patriarcat de Constantinople "toute province qui ne relève pas d'un autre siège patriarcal".
Il apparaît évident que cette interprétation inexacte provient ici d'une interprétation erronée du terme "chez les étrangers" (en tis varvarikis) et du contexte de cette expression. Une telle interprétation erronée suppose qu'il s'agit ici non pas des peuples barbares vivant soit dans l'empire romain soit au-delà de ses limites, mais des entités administratives (définies par l’État) peuplées surtout de barbares. Or, il ne fait aucun doute que cette expression recouvre non pas les provinces mais les peuples, elle n'est pas utilisée au sens administratif et politique mais au sens ethnique. Cela découle de façon évidente des considérations que nous développons ci-dessous.
Comme vous le savez, à l'époque hellénistique et byzantine, le terme "varvaros" se rapporte aux représentants des peuples dont la langue, la culture et les mœurs ne sont pas grecques. Ainsi, Saint Grégoire de Nysse, dans son troisième discours contre Eunome, parle de "philosophie barbare" (varvariki filosofia), Eusèbe de Césarée parle des "barbarismes dans la langue grecque" (idiomata varvarika), Saint Épiphane de Chypre des "noms barbares" (varvarika onomata) et le maître de Saint Jean Chrysostome, Libanius, de "coutumes barbares" (iti varvarika). De même, l'Apôtre Paul entend par "barbare" toute personne ne parlant ni latin ni grec – langues officielles (cf 1 Cor. 14, 1) "Si donc je ne connais pas le sens de la langue, je serai un barbare (varvaros) pour celui qui parle et celui qui parle! sera un barbare (varvaros) pour moi". De tels "barbares" pouvaient vivre aussi bien à l'extérieur qu’à l'intérieur de l'empire romain. L'Apôtre Paul prêchait pour les barbares (Rom. 1,14) sans franchir les limites de l'empire. Les Actes des Apôtres (28,2 et 4) nomment les habitants de l'Ile de Malte "des barbares", bien que cette île fasse partie de l'empire, et cela, uniquement parce que la langue locale est le punique. En ce qui concerne le terme "varvarikon", il est certes employé pour désigner les territoires situés en dehors des limites de l'empire romain. C'est dans ce sens que ce terme est utilisé par exemple dans le 63ème (52ème) canon du Concile de Carthage, où il est dit qu’en Mauritanie il n'y avait pas de conciles parce que ce pays se trouve à l'extrémité de l'Afrique, il est limitroph! e d'une terre barbare (to varvariko parakitê). Néanmoins, ce terme peut aussi se rapporter à tout ce qui est barbare, et à ce titre – aux territoires qui, bien que peuplés des barbares, entrent dans la composition de l'empire.
C'est justement dans ce sens que ce terme est utilisé dans le canon de Chalcédoine. On n'y parle pas de peuples barbares en général, mais seulement de peuples bien déterminés, des peuples des provinces susmentionnées (ton proirimenon diikiseon), c’est à dire des barbares vivant dans les diocèses du Pont, de l'Asie et de Thrace qui faisaient partie intégrante de l'empire romain d'orient. Ainsi le canon soumet au siège de Constantinople les évêques des barbares vivant dans les limites ecclésiales de ces trois diocèses.
Tous les commentateurs des canons, Alexis Aristène, Jean Zonaras et Théodore Balsamon, de même que l'auteur du Syntagma alphabétique, Matthieu Blastaris, entendent par l'expression "en varvarikis" justement les peuples barbares et, qui plus est, uniquement les peuples soumis à la juridiction de ces trois diocèses, soulignant que les peuples barbares des diocèses voisins n'étaient pas soumis par cette règle à la juridiction de Constantinople, mais ils restaient sous la juridiction d'autres Eglises orthodoxes. Seuls sont soumis à l'Evêque de Constantinople, écrit Aristine, les métropolites du Pont, d'Asie et de Thrace, et c’est de lui qu’ils reçoivent la consécration épiscopale ; il en est de même pour les évêques des barbares dans ces diocèses, car le diocèse de Macédoine, d'Illyrie, de Théssalie, du Péloponnèse et de tout l’Epire et les peuples barbares dans ce diocèse se trouvaient alors sous l'autorité de l’évêque de Rome (Syntagma d'Athènes 2, 286 ; Kormtchaïa, Edition 1816, p. 73). C'est l’évêque de Constantinople qui est chargé de la consécration épiscopale des peuples barbares qui se trouvent dans les diocèses précités, écrit Zonara, car les diocèses restants, c'est à dire : de Macédoine et de Théssalie, d'Ellade et du Péloponnèse, d'Epire et d'Illyrie étaient alors soumis à l’évêque de la Rome ancienne (Syntagma d'Athènes 2, 283, 284). Nous pouvons lire dans le Syntagma de M. Blastaris : l’évêque de Constantinople a aussi le droit de sacrer les évêques des peuples barbares limitrophes de ces diocèses, comme les Alains! et les "Rous" car les premiers sont limitrophes du dioc&e grave;se du Pont et les seconds du diocèse de Thrace (Syntagma d'Athènes VI, 257). Dans ce dernier cas, il s'agit d'une pratique ecclésiale tardive (le témoignage de Blastaris se rapporte au XIVe siècle) selon laquelle sont incluses dans la juridiction de l'Eglise de Contantinople les terres barbares attenantes aux trois diocèses mentionnés. Il est par ailleurs souligné que la juridiction de l'évêque de Constantinople a été étendue à ces territoire justement du fait de leur voisinage avec la province canonique définie par la 28e règle du Concile de Chalcédoine, bien que dans le texte même des règles la possibilité d'un tel élargissement ne soit pas prévue.
Ainsi les commentateurs anciens et faisant autorité confirment que le Concile de Chalcédoine n'a donné à l’évêque de Constantinople un droit sur les territoires "barbares" que dans les limites de trois diocèses, dont seul le diocèse de Thrace se situe en Europe. Aristène et Zonaras, par exemple, indiquent clairement qu'en Europe le droit pour l’évêque de Constantinople d'envoyer des évêques pour les barbares s'étend seulement au diocèse de Trace, car les autres diocèses sont soumis à l’évêque de Rome. En ce qui concerne les frontières de l’Eglise de Constantinople en Asie, Balsamon écrit, dans l’interprétation du canon 28 du IVe Concile œcuménique : "Sache qu'on appelle pontiques les métropolites riverains de la Mer Noire jusqu'à Trébizonde, asiatiques les mé! tropolites près d'Ephèse, de la Lycie, de Pamphilie et des environs, mais pas en Anatolie, comme disent certains. En Anatolie, c'est celui [l’évêque] d'Antioche qui possède le droit d'ordonner" (Syntagma d'Athènes II, 284).
Il convient également de constater qu'il ne s'agit pas dans ce canon de la diaspora mais des peuples "barbares" autochtones vivant non pas dispersés mais sur leurs propres terres. Ils sont devenus chrétiens surtout à la suite d'activités missionnaires : leur christianisme ne vient pas de leur patrie étrangère comme c'est le cas pour la diaspora. Et voilà pourquoi, on s'éloigne de la réalité historique et on mélange des concepts différents si on étend le champ d'application d’un canon concernant les peuples autochtones, devenus chrétiens par suite d'activités missionnaires, au phénomène de la diaspora composée de personnes qui partent en terre étrangère et qui ont été élevés dans la tradition orthodoxe de leur patrie.
Ainsi l'affirmation de Votre Sainteté disant que par le 28e canon de Chalcédoine "entrent dans le domaine de responsabilité du Patriarche œcuménique l’Europe occidentale et toutes les terres nouvellement découvertes d'Amérique et d'Australie" est une affirmation qui semble être entièrement inventée et privée de tout fondement canonique. En effet ces terres éloignées n'ont aucun lien avec les trois diocèses mentionnés dans le canon et n'en sont même pas limitrophes, et, d’autre part, la majorité des fidèles des Eglises sur ces territoires ne sont pas des indigènes mais des représentants de peuples traditionnellement orthodoxes avec leurs traditions religieuses qu'ils souhaitent conserver. Pour ce qui est de l’appartenance juridictionnelle des territoires canoniques appartenant à l’Eglise de Rome avant le schisme! de l’an 1054, aucune décision ayant autorité pan-orthodoxe n'a été prise par l’Eglise.
Tout cela est étayé aussi par des faits historiques indiquant que jusque dans les années vingt du vingtième siècle il n'y avait aucune autorité de fait du patriarche de Constantinople sur toute la diaspora orthodoxe dans le monde entier, et qu’il ne prétendait pas non plus à une telle autorité. A titre d'exemple, en Australie la diaspora orthodoxe était initialement desservie par Jérusalem et le patriarcat de Jérusalem y envoyait des prêtres. En Europe occidentale, dès le commencement, les paroisses et les communautés orthodoxes dépendaient canoniquement de leur Eglises mères et non pas de Constantinople, de même que dans d'autres parties du monde où pour suivre l’enseignement du Christ (Matthieu 28, 1-20) des missionnaires zélés des Eglises locales orthodoxes, y compris celle de Constantinople, prêchaient l! 'Evangile et baptisaient les aborigènes qui devenaient enfants de l’Eglise, qui les avait éclairés par le baptême.
Pour ce qui est de l'Amérique, dès 1794, l'orthodoxie sur ce continent a été représenté exclusivement par la juridiction de l'Eglise russe qui en 1918 regroupait 300 000 orthodoxes de nationalités différentes (Russes, Ukrainiens, Serbes, Albanais, Arabes, Aléoutes, Indiens, Africains, Anglais) ; y appartenaient également les grecs orthodoxes recevant l'antimansion pour leurs paroisses de la part des évêques russe. Une telle situation était reconnue par toute les Eglises locales qui pour les paroisses américaines envoyaient leur clergé dans la juridiction de l'Eglise orthodoxe russe. Le patriarcat de Constantinople aussi s'en tenait à cette même pratique. Par exemple, lorsque en 1912 les Grecs orthodoxes d'Amérique adressèrent une requête pour l'envoi d'un évêque grec à Sa Sainteté le! Patriarche de Constantinople Joachim III, le Patriarche ne l’a ni envoyé lui-même, ni n’a adressé cette requête à l'Eglise orthodoxe de Grèce mais il a recommandé d'en référer à l'Archevêque Platon d'Aléoutie et d'Amérique du Nord afin que cette question soit tranchée par le Saint Synode de l’Eglise orthodoxe russe.
Le pluralisme juridictionnel en Amérique du Nord a commencé en 1921, lorsque a été créé l'"Archevêché grec d'Amérique du Nord et du Sud" sans l'accord de l'Eglise orthodoxe russe, qui n'en avait pas été informée. C'est justement à ce moment-là qu'apparaît ce que vous décrivez : "En dépit des Saints Canons, les Orthodoxes, en particulier ceux qui vivent dans les pays occidentaux, sont divisés en groupes ethnico-raciaux. Les Eglises ont à leur tête des évêques choisis pour des considérations ethnico-raciales. Souvent ces derniers ne sont pas seuls dans chaque ville et parfois n'entretiennent pas de bonnes relations et se combattent ", ce qui "est une honte pour toute l'orthodoxie et la cause de réactions défavorables qui se retourne! nt contre elle". Comme nous le voyons, la faute de cette triste situation n'incombe pas à l'Eglise russe. Au contraire, s'efforçant de faire entrer l'orthodoxie américaine dans le sillage canonique, en tant qu'Eglise Mère, en 1970, elle a accordé l'autocéphalie à son Eglise Fille. Par cet acte, l'Eglise russe a agi dans les limites de sa juridiction canonique, ayant en vue une future décision pan-orthodoxe concernant le rétablissement d'une Eglise orthodoxe locale unique en Amérique. Nous pouvons remarquer que, déjà en 1905, un projet de création de cette Eglise avait été présenté au Saint Synode par le saint Patriarche Tikhon qui était alors l’Archevêque d'Aléoutie et d'Amérique du Nord.
Il est triste de constater que la Très Sainte Eglise de Constantinople n'a pas soutenu l’acte de 1970 et n'a pas contribué à l'union tant souhaitée. Jusqu'à présent, cela reste une cause de discorde et de mécontentement qu’éprouvent de nombreux Orthodoxes en Amérique en ce qui concerne leur statut.
Malgré l'affirmation de Votre Sainteté, à savoir "qu'aucun autre siège patriarcal n'a reçu le privilège ni le droit canonique" pour appliquer sa juridiction en dehors des provinces qui n'appartiennent pas aux territoires canoniques des Eglises autocéphales, l’histoire démontre que la 28è règle du IVe Concile œcuménique soumettant à Constantinople les trois diocèses mentionnés ne diminue en rien les droits des autres Eglises autocéphales, en particulier dans le domaine de la juridiction ecclésiastique sur le territoire des terres étrangères. Ainsi l'Eglise de Rome désignait les évêques dans presque toute l'Europe, Thrace exceptée, l'Eglise d'Alexandrie dans les pays au Sud de l’Egypte et par la suite sur presque tout le continent africain, celle d'Antioche à l'Est, en Géo! rgie, en Perse, en Arménie, en Mésopotamie ; la juridiction de Constantinople, quand à elle, pendant longtemps après le Concile est restée confinée aux frontières qu’étaient celles des diocèses d'Asie, du Pont et de Thrace avant ce Concile.
Historiquement, il convient également de constater qu’aussi bien la primauté d'honneur établie par la règle 3 du IIe Concile œcuménique, que les pouvoirs juridictionnels dans les trois diocèses ont été donnés à l'Eglise de Constantinople uniquement pour des raisons politiques, à savoir parce que la ville où se trouvait son siège a acquis le statut politique de capitale, est devenue "la ville de l’empereur et du sénat". Ainsi le 28ième canon stipule : "Nous prenons la décision au sujet de la préséance de la Très Sainte Eglise de Constantinople, la Nouvelle Rome. Les pères en effet ont accordé avec raison au siège de l'ancienne Rome la préséance parce que cette ville était la ville impériale. Mus par ce même motif, les 150 évêques a! imés de Dieu ont accordé la même préséance au Très Saint Siège de la Nouvelle Rome, pensant à juste titre que la ville honorée de la présence de l'empereur et du sénat et jouissant des mêmes privilèges civils que Rome, l'ancienne ville impériale, devait aussi avoir le même rang supérieur qu'elle dans les affaires d'église, tout en étant la deuxième après elle". Nous n'avons pas pour le moment l'intention de nous lancer dans une discussion sur ce thème. Toutefois, il convient de ne pas oublier un fait évident : la situation actuelle de Constantinople après la chute de l'empire byzantin ne justifie absolument pas un recours trop insistant à ce canon, sans parler d'interprétations excessivement élargies à son sujet.
L'inclusion dans la juridiction de la Très Sainte Eglise de Constantinople de nouvelles provinces outre celles voisines de ces trois diocèses, qui a eu lieu au cours de l’histoire, n'est pas, d'après nous, liéeà la règle 28 du IVe Concile œcuménique. Les raisons en furent tout à fait autres. Ainsi, les provinces mentionnées par Votre Sainteté d'Illyrie, d'Italie du Sud et de Sicile ne relevaient pas "toujours" de la juridiction du Patriarcat de Constantinople mais furent enlevées de force à l'Eglise romaine et transmises à l'Eglise de Constantinople par l'empereur iconoclaste Léon l’Isaurien, sans référence aucune au 28ième canon du Concile de Chalcédoine. Une des plus importantes raisons de ces actes de Léon l'Isaurien était que l'Eglise de Rome s'opposait à la politique iconoclaste de l'! empereur byzantin dont le pouvoir politique s'étendait au territoire indiqué.
En ce qui concerne l'Eglise russe, elle était initialement soumise à l'Eglise de Constantinople non pas en vertu du canon 28 du IVe Concile œcuménique mais en vertu du principe général, selon lequel les peuples convertis se soumettent à l'Eglise mère qui les a christianisés tant qu'ils ne réunissent pas les conditions nécessaires à l'autocéphalie. En devenant église autocéphale, l'Eglise russe a reçu les mêmes droits de mission, au-delà de son territoire canonique, que les autres Eglises orthodoxes locales dans la mesure où, comme cela fut montré ci-dessus, les Saints canons ne donnent aucune préséance à quelque Eglise que ce soit pour la réalisation de ce droit.
Telle est l'authentique tradition pan-orthodoxe dans cette question et la Très Sainte Eglise de Constantinople l’avait toujours respectée jusqu'au moment où le Patriarche Mélétios IV a élaboré la théorie de la subordination de toute la diaspora orthodoxe à Constantinople. C'est précisément cette théorie, à l’évidence anticanonique, qui apparaît, pour employer une expression de Votre Sainteté, "hostile à l’esprit de l'Eglise orthodoxe, à l'unité de l’orthodoxie et à l'ordre canonique". Elle est précisément l’expression "d'une intention expansionniste qui n'a pas de fondements canoniques et qui est inacceptable sur le plan ecclésiologique". En prétendant à un pouvoir spirituel universel, elle ne correspond pas à la tradition canonique orthodoxe et à l’e! nseignement des Saints Pères de l’Eglise, et représente un défi direct à l’unité orthodoxe. En effet, il n'y a aucune raison de convenir avec l’affirmation que l’ensemble de la diaspora orthodoxe ne se trouve point sous la juridiction spirituelle du Patriarcat de Constantinople uniquement parce qu'il "tolère cette situation temporairement et pour des raisons d'économie". Cette dernière phrase a particulièrement suscité notre incompréhension et notre inquiétude car elle semble indiquer l’intention de la Très Sainte Eglise de Constantinople de continuer à mener à l'avenir une politique unilatérale d'expansionnisme étrangère à l'esprit d’amour fraternel et de conciliarité. A cet égard, il convient de rappeler une remarque juste du Patriarche Diodore de Jérusalem de bienheureuse mémoire figurant dans la lettre! à Votre Sainteté N° 480 du 25 juillet 1993, à sa voir que seul le Concile Pan-Orthodoxe a le droit de résoudre la question complexe de la diaspora. Ajoutons encore que ni la Très Sainte Eglise Orthodoxe de Roumanie ni la Très Sainte Eglise Orthodoxe de Pologne ne partagent la vision des problèmes de la diaspora orthodoxe exposée par Votre Sainteté : c'est ce qui ressort des rapports de ces Eglises aux réunions de la commission préparatoire pour le Saint et Grand Concile en 1990.
Compte tenu de ce qui précède, nous sommes tout à fait en droit de contester l'affirmation de Votre Sainteté, à savoir que l'Exarchat des Paroisses Russes en Europe est" une des formes de la sollicitude pastorale obligatoires" de l’Église de Constantinople. La thèse de subordination obligatoire de cet Exarchat à la juridiction du Patriarcat de Constantinople est réfutée par l'histoire même de cette structure ecclésiastique. Rappelons que dans les documents officiels de l'Eglise de Constantinople concernant la situation des paroisses russes en Europe occidentale il est reconnu que leur Eglise Mère est l'Eglise Orthodoxe Russe, et que le système établi d'administration de ces paroisses a un caractère provisoire. Il en est question sans ambiguïté dans le Tomos du Patriarche Photius du 17 février 1931. Comment! ant ce document, le Très Saint Patriarche Photius écrit dans une lettre au Métropolite Serge, Locum Tenens du Trône patriarcal, N° 1428 du 25 juin 1931 : "la situation doit rester dans cet état provisoire jusqu'à ce que, Dieu aidant, soit rétablie l’unité de la Sainte Eglise Sœur de Russie". Dans ce même sens, Sa Sainteté le Patriarche Athénagoras, dans une lettre à l'Exarque des paroisses russes, l'Archevêque Georges d'Eudociade, N° 671 du 22 novembre 1965, témoignant du fait que "l’Eglise Russe s’est libérée des divisions et a acquis une organisation interne et a acquis une liberté d'action pour les affaires hors frontières ", annonce la suppression de l'Exarcat des paroisses russes de l'Europe occidentale "qui avait un caractère provisoire" et lui recommande de s'unir au Très Saint Patr! iarche de Moscou qui "pourra et devra toujours témoigner et manifester son amour paternel pour ces paroisses". La reprise en 1971 par le Patriarcat de Constantinople dans sa juridiction, du diocèse des paroisses russes en Europe et sa transformation en Exarchat par le Tomos du 19 juin 1999, n'a en rien changé le caractère provisoire de la situation actuelle de l'Archevêché russe dans la mesure où ce tomos, dans son premier paragraphe, se réfère au tomos du Patriarche Photius. Ainsi, la Très Sainte Eglise de Constantinople elle-même, dans ces documents officiels, a reconnu sans ambiguïté le droit à l’union de l'Archevêché des paroisses russes en Europe occidentale avec l'Eglise Mère – l’Église Orthodoxe Russe sans y voir la manifestation" d'un état d'esprit extrêmement sécularisé et erroné "ou" d’une conception ethnico-raciale erronée".
En ce qui concerne les propos de Son Éminence le Métropolite Cyrille de Smolensk et Kaliningrad mentionnés par Votre Sainteté, propos tenus pendant son séjour à Paris du 10 au 12 février 2001, ce thème a déjà été évoqué au cours d'une série de négociations par les délégations des Patriarcats de Constantinople et de Moscou à Zurich le 19 avril 2001 et dans une lettre du Métropolite Cyrille au Métropolite de Philadelphie Méliton, N° 2062 du 17 juillet 2001. De passage à Paris, Son Éminence le Métropolite Cyrille a été invité par l'Archevêque Serge d’Eucarpie à une rencontre avec le Conseil de l’Archevêché. A cette rencontre, le hiérarque de notre Eglise n'a fait aucune proposition particulière, toutefois, lorsque on a demand&e! acute; au Métropolite quelle était sa vision de l’avenir de l'Archevêché , il a exposé la position de notre Eglise qui n'a jamais été dissimulé et à laquelle nous sommes irrévocablement attachés. Cette position est la suivante : l'existence d'une structure ecclésiastique isolée des paroisses russes en Europe est le résultat de la tragédie du peuple russe provoquée par la révolution. A l'heure actuelle, quand enfin les conséquences de la révolution sont surmontées, le retour des paroisses de l'émigration au sein du Patriarcat de Moscou serait tout à fait normal. Cette aspiration au rétablissement de l'unité spirituelle de notre peuple est reflétée dans la déclaration que vous avez évoquée, faite par le Saint Synode de l'Eglise Orthodoxe Russe le 8 novembre 2000 où ! il est question des enfants "qui habitent en dehors des limites d e l’Etat russe ", (mais pas "en dehors des limites de l'Eglise russe" comme cela est cité de manière inexacte dans Votre lettre). Cela nous attriste toujours de constater que le souhait légitime et naturel de rassembler à nouveau nos propres ouailles vivant dispersées pour des raisons historiques et politiques connues, fasse l'objet d'attaques si brutales et injustes et ne recueillent pas de compréhension auprès du Primat d’une Eglise qui a subi une tragédie semblable.
La question de la diaspora orthodoxe est un des plus importants problèmes des relations interorthodoxes. Etant donné sa complexité et le fait qu'il ne soit pas suffisamment régularisé, il entraîne de graves complications dans les relations entre les Eglises et sans aucun doute diminue la force du témoignage orthodoxe dans le monde contemporain. Néanmoins, nous espérons vivement que les efforts soutenus et insistants des Eglises Orthodoxes locales permettront finalement de trouver une solution pan-orthodoxe de ce problème lors du Saint et Grand Concile de l’Eglise Orthodoxe d'Orient. La responsabilité historique en paraît d'autant plus lourde pour les actes dirigés contre l’obtention d'un accord agréable à Dieu concernant cette question clé.
Voilà pourquoi pour le véritable bien aussi bien de l'orthodoxie que de l’Église de Constantinople qui nous est chère par des réminiscences historiques séculaires, nous appelons Votre Sainteté à suivre les préceptes des Saints Pères, exprimés dans le 8ième canon du IIIe Concile œcuménique, "que les canons des Pères ne soient pas enfreints, ni que sous le prétexte d'actes sacrés ne s'insinue l’orgueil de la puissance mondaine et que, sans nous en rendre compte, nous perdions peu à peu la liberté, que nous a donné par Son propre Sang, Jésus Christ Notre Seigneur, le Libérateur de tous les hommes". Fidèle à la tradition des Saints Pères, nous demandons instamment et sincèrement à Votre Sainteté de renoncer à un état d'esprit faisant obstac! le à l’accord ardemment désiré et de déployer des efforts pour convoquer rapidement le Grand et Saint Concile.
Nous demandons à Dieu paix, santé et longue vie pour Votre Sainteté, nous vous donnons à nouveau l’accolade fraternelle et nous continuons à vous respecter et à vous aimer dans le Christ.
+ Alexis,
Patriarche de Moscou et de toute la Russie