Le conseil de l’Archevêché des paroisses russes en Europe occidentale a récemment publié une déclaration, et l’OLTR a souhaité réagir à ce document.
Hormis quelques accusations qui nous apparaissent être sans fondement, la déclaration comporte une suite d’affirmations, faites en termes généraux, qui énoncent des vérités, le plus souvent incontestables et admises par tout le monde. Une étude attentive du texte révèle cependant qu’à partir de ces vérités, sont suggérées des thèses beaucoup moins fondées, et c'est sur ces thèses très contestables que le conseil de l’Archevêché semble asseoir ses options
Ainsi, après avoir affirme que l'Archevêché ne se considère plus comme appartenant à une diaspora, la déclaration poursuit à son sujet : « Érigé en diocèse canonique » sans plus de précision. Or il est justement très important de savoir qui a « érigé » ce diocèse et de qui il tire sa canonicité. Est-ce de lui-même ? Est-ce de l’Église de Constantinople ? Est-ce de l’Église russe ? Il est bien évident que c’est cette dernière hypothèse qui est la bonne car un diocèse ne peut se créer lui-même, et Constantinople n’a fait que l’accueillir provisoirement, selon des statuts variables dans le temps, pour lui assurer cette canonicité au temps de l’esclavage de l’Église russe.
Le texte de la déclaration poursuit «Érigé en diocèse canonique, uni autour de la Table du Seigneur, où se manifeste la plénitude de l’Église dans la célébration de la Sainte Eucharistie […] fondamentalement l’Archevêché est déjà en lui-même une Église locale, comme l’est tout diocèse en tout lieu. » Si le premier membre de la phrase est incontestable, le second, s’il est compris comme une conséquence du premier, peut induire en erreur.
Dans le débat qui nous préoccupe l’Église peut effectivement être décrite comme le rassemblement du peuple de Dieu autour de son évêque afin d’offrir l’Eucharistie « pour la vie du Monde ». Et dans ce cas, ce n’est pas une église, mais l’Église dans sa plénitude, qui récapitule le passé le présent et l’avenir, ici et en tout lieu. Ce n’est pas l’Église « locale » qui est rassemblée mais l’Église « Catholique » car ce mot exprime exactement cette universalité de chaque assemblée eucharistique. Et c’est justement pour cela qu’il ne peut y avoir deux évêques, c'est-à-dire deux Églises, sur le même territoire, car les chrétiens d’un même lieu ne peuvent se réunir qu’en une assemblée unique pour célébrer ce sacrement d’unité.
La notion d’Église locale est indissociablement liée à la catholicité de l’Église. Elle concerne l’organisation de l’Église empirique. Les évêques de diocèses proches les uns des autres (et non les évêques d’un même territoire, ce qui, en principe, ne saurait exister) se réunissent en synode (assemblée) et désignent un primat, qui sera le symbole et l’outil de leur unité. C’est ce que décrit et prescrit le 34ième canon des apôtres, bien connu. Ainsi l’Église est non seulement catholique, mais aussi conciliaire.
Si nous analysons maintenant la situation dans nos contrées, nous voyons qu’elles abritent, sur le même territoire, des diocèses créés par des Églises autocéphales différentes et qui sont donc des diocèses qui sont en conciliarité avec ces Églises et qui tirent leur canonicité de leur appartenance à ces Églises. Dire alors que « fondamentalement l’Archevêché est déjà en lui-même une église locale, comme l’est tout diocèse en tout lieu » n’est pas fondé. Et le raisonnement qui l’affirme doit plus à un rêve, non encore réalisé, qu’à une analyse factuelle de la situation véritable. Il faut admettre que, pas plus l’Archevêché, qu’aucun autre diocèse établi actuellement en Europe occidentale, n’est en soi, une Église locale.
Par ailleurs la déclaration condamne tout à fait justement « la superposition de juridictions sur un même territoire » et « la revendication par les différentes Églises autocéphales d’une obédience directe de leurs ressortissants nationaux. » Elle en tire comme conséquence que la proposition du Patriarcat de Moscou est "inappropriée". Mais aussi bien les termes même de la missive patriarcale, que les commentaires des représentants qualifiés du Patriarcat à son sujet, montrent clairement que cet appel ne se situe pas du tout dans l’optique où semble vouloir le placer le conseil de l’Archevêché. Ce n'est pas parce que le Primat de l'Église russe considère les membres de l'Archevêché comme "[ses] ressortissants nationaux, dispersés dans les pays d'Europe occidentale", qu'il a lancé son appel, mais parce qu'il se sait responsable d'un diocèse créé par l'Église russe et abandonnée à son sort sous la contrainte des persécutions des années terribles.
C’est en effet non seulement le droit, mais le devoir, des Primats des Églises autocéphales qui ont créé des diocèses de mission, pour accompagner les orthodoxes issus de leur sein quand ils émigraient, d’exercer à leur égard leur service de primauté, c’est à dire apporter leur aide et leur sollicitude en cas de disputes intestines, de schismes ou autres déviations. Cela est exactement le souci manifesté par le Primat de l’Église russe. Il veut mettre fin aux divisions provoquées par les actions du pouvoir antichrétien. C'est autant son devoir de le faire que ce fut le devoir de l'Église de Constantinople d'exercer sa juridiction pendant plusieurs siècles sur l'Église russe, qui ne se trouvait pas sur son territoire canonique, mais qui était issue de sa mission.
Mais c’est aussi le devoir des Primats de remédier à la situation, non conforme à l’ecclésiologie orthodoxe, qui a résulté de la création de ces multiples diocèses de mission sur les mêmes territoires. Et, là encore, c’est exactement ce que s’efforce de faire Sa Sainteté le Patriarche de Moscou en proposant une Métropole auto administrée, dans la perspective de l’Église locale. En réalité il va, dans ce sens, aussi loin qu’il peut le faire sans la coopération des autres Églises mères, pour résoudre ce problème. Et si les autres Primats allaient dans la même direction, des progrès significatifs pourraient intervenir rapidement dans la solution de nos difficultés à rendre la situation plus conforme à notre foi.
Donner à ces propositions un sens contraire à celui qu’elles ont, permet de condamner la prétendument fausse ecclésiologie de l'Église russe. Cette attitude ne peut provenir que de préjugés dont on ne peut se libérer ou d’une défiance, a priori, des représentants légitimes de l’Église russe, qui empêche toute communication véritable. Et refuser la sollicitude du primat de l'Église russe c'est, pour l'Archevêché, changer de juridiction, de son propre chef, attitude toujours condamnable dans l'Église. Et c'est ce refus, et non pas la lettre de Sa Sainteté le Patriarche, qui jette le trouble dans un troupeau désorienté.
La déclaration se réfère aussi aux écrits produits en 1966 pour s'efforcer de justifier la position d'autonomie autoproclamée de l'Archevêché, lequel se trouva sans lien canonique, après avoir été congédié par le Patriarcat de Constantinople. Mais les auteurs constatèrent vite l'inadéquation de cette position puisqu'ils retournèrent au Patriarcat de Constantinople dès que celui-ci accepta de les reprendre, pratiquement en tant que vicariat au sein de la Métropole de France. Ils avaient pointé, entre temps, le fait que l'Archevêché ne pouvait revenir purement et simplement dans le giron de l'Église russe. C'est justement le mérite de la lettre patriarcale que ne pas proposer un simple retour, mais cette Métropole auto administrée, promise à s'intégrer dans l'Église locale.
En définitive les membres de l'OLTR pensent que les fondements de la position du conseil de l'Archevêché sont pour le moins discutables et l'adjurent de ne pas prendre, sur leur base, des décisions définitives vers un changement complet des orientations de l'Archevêché par rapport à son histoire, ce qui ne pourrait que dérouter encore plus tout une partie de ses membres et les laisser sans autre possibilité que de chercher des solutions ailleurs.
Ne pas prendre de décisions définitives c'est, concrètement, prendre le temps de la discussion interne, entamer des discussions avec l'Église russe, non pas pour lui signifier sèchement le rejet de sa proposition, mais pour tenter de comprendre la véritable consistance de ces propositions et briser, si faire se peut, le mur de défiance dont on peut deviner l'existence à la lecture de nombreuses réactions à l'intérieur de l'Archevêché. A cet égard l'OLTR s'inquiète des difficultés que, selon la déclaration, Monseigneur l'Archevêque semble éprouver pour entre en contact avec le Patriarcat de Moscou. Elle considère qu’il ne peut s'agir que d'un tragique malentendu auquel, il est urgent de trouver une solution.
Séraphin Rehbinder
Président